Querelles des Investitures : arguments Guelphes, arguments Ghibellins.
En gros, la position fondamentale des
Guelphes, c'est qu'il y a séparation entre laïc et religion (logique). Or, les Princes sont des laïcs, et non des religieux. Certains théologiens utilisent la métaphore âme /corps pour décrire le fonctionnement Sacerdoce/Imperium : le devoir des Princes est d'être l'outil de l'église en la protégeant, d'être les garants de la justice divine, mais ils doivent donc nécessairement suivre l'église. C'est de là que les Princes tirent leur légitimité, en fait, pas d'autre chose. Au début, les premiers auteurs dont s'inspirent la réforme soulignent cependant que l'église doit suivre ses rois : une relation mutuelle en quelque sorte, dont le guide, et donc implicitement la partie supérieure, est l'église.
Or, plus tard on souligne le fait que les Royaumes et Empires sont des inventions humaines, dont la légitimité, toute relative, ne dépend que de l'intention et des qualités de leurs inventeurs.
L'église, elle, a reçu son investiture du Christ en personne : ainsi, elle est par essence supérieure et a reçu les droits de l'Imperium terrestre comme céleste, les clés de la Cité de Dieu sur terre comme dans les cieux. Il est donc non seulement hors de question que les Empereurs interviennent dans la nomination des Papes (donc RIP le Césaropapisme), mais en plus les Empereurs doivent suivre l'exemple de Constantin et montrer de l'humilité et de l'obéissance vis à vis de l'église, car "Il n'est pas juste que l'Empereur terrestre exerce son podestas là où ont été institués par l'Empereur du Ciel le principat des prêtres". L'église est la mère des Rois, en cela qu'elle les a engendré pour qu'ils deviennent les cohéritiers du Christ, et le Pape est doté des droits paternels sur les souverains.
C'est allé encore plus loin au fil de la réforme grégorienne : Jésus a délégué à Pierre la droit de lier et de délier, et lui a ordonné de paître ses brebis. Le Pape, Vicaire du Christ, est donc investi de pouvoirs absolus par le Christ lui même. Cela sous entend l'irrevocabilité des décisions papales et l'universalité de son pouvoir : il possède le pouvoir suprême sur tout et tous.
En plus, l'origine de la royauté est non seulement profane, mais profanatrice : "Les Rois et les Ducs tirent leur origine de ceux qui, ignorant Dieu, s'attachèrent sous l'action du diable, prince de ce monde, à dominer les hommes, leurs égaux, avec une cupidité aveugle et une présomption intolérable". Donc non seulement les Princes sont des laïcs, mais cette fonction de laïc les rend inférieurs en stature au plus miséreux, au plus pathétique, au plus bas rang de la hiérarchie ecclésiastique, qui elle est consacrée par Dieu, ce qui explique pourquoi même un Empereur ne peut ordonner un prêtre. Si les Princes veulent être légitime, ils doivent se soumettre inconditionnellement au sacerdoce, dans le but d'au moins la rendre utile. Tout Roi qui n'est plus utile a l'église se doit d'être déposé (comme le dernier mérovingien évincé par la dynastie carolingienne). On ne parle plus de coopération entre deux entités toutes deux respectables mais dont l'une est l'aînée de l'autre, mais de totale soumission à l'église.
En somme, la royauté, lorsque soumis à l'église, apporte le salut, mais dans nulle circonstances celle ci n'apporte la sainteté.
⁂
Les
Ghibellins, eux, ont plusieurs approches pour combattre ce point de vue idéologique. Déjà, il y a ceux issus du modèle plus traditionnel Franc/Carolingien, qui dit que le souverain dérive une partie du pouvoir de ses administrés : le Roi est Roi parce qu'il est bon et juste avec ses sujets, et c'est en partie de là que provient sa légitimité, une sorte de contrat social basé sur les qualités personnelles en quelque sorte (même si quand je dis ça c'est une simplification, c'est beaucoup plus une redite du contrat féodal qu'un contrat social à la Rousseau : le Roi doit être bon, juste et protéger ses sujets qui lui doivent en retour obéissance). C'est en partie cet argument qui a été utilisé pour expliquer la fin de la dynastie mérovingienne : ce sont les Princes et non pas l'église qui ont mis fin à leur règne, les prélats se sont contentés de donner un assentiment tacite. C'est apparemment assez proche des thèses d'Isidore de Séville, et je dirais que NMU le résumerai en gros par : "Le Prince doit être choisi pour ses qualités de cœur, qui elles même sont une légitimité en soi".
Il y a également ceux qui récusent la notion que les Princes, et notemment les Rois et les Empereurs, soient une fonction laïque. L'Empereur est spécifiquement choisi par Dieu pour instituer la Cité de Dieu sur Terre, sa fonction est donc sainte, sacrée et en fait plus sacrée que celle du Pape, qui n'a donc aucun droit d'intervenir dans les affaires temporelles (d'autant plus que la possibilité de lier et délier les serments concerne "les liens des péchés", et non pas les serments faits sur les Évangiles).
Il y a un autre bloc qui conteste la légitimité du pouvoir absolu du Pape. En effet, ils ont tendance à considérer que le pouvoir des conciles et synodes des docteurs de la foi sont supérieurs aux seules décisions du Pape, le Pape n'est donc pas infaillible et certaines de ses décisions, si elles vont à l'encontre du consensus des docteurs de la foi ou qu'elles sont en contradiction avec les règles traditionnelles de l'Eglise, peuvent être contestées . L'autorité éternelle des canons sacrés ne saurait être opposée par les caprices d'un seul, aussi le Pape ne saurait faire comme bon lui semble sur le plan spirituel comme sur le plan temporel.
Il y a également ceux qui interprètent le passage de l'évangile ou les apôtres disent à Jésus "Seigneur, il y a ici deux glaives [Le glaive spirituel et le glaive temporel, dont les réformistes estiment que le second est soumis au premier] ", et dans lequel répondit "Cela suffit" de la façon suivante :
La dualité entre spirituel et temporel, que Jésus a entériné en reconnaissant l'existence des deux pouvoirs, est supposée être mariée dans l'église, et l'un n'est pas supposé dominer l'autre : dans l'église le glaive spirituel consacre les Rois au nom du Christ pour qu'ils instaurent l'ordre de Dieu, là où le glaive temporel est l'épée avec laquelle les Rois défendent l'Église. C'est une coopération mutuelle entre institution égales toutes deux unies dans la lumière du Christ qu'implique cette dualité, en fait, l'Eglise est ici comprise comme la communauté des croyants : les Rois tout comme la petite église (comprendre : l'institution ecclésiastique) sont en quelque sorte les deux faces différentes, aux tâches certes distinctes, d'une même institution : l'Eglise et la Res Publica Christiannica (pas sur de l'orthographe mais tu m'as compris je pense).