Valyrian
Pilier
Notes sur "Le capitalisme au Moyen-Âge" de Jacques Heers 3 : Quelques notes sur le capitalisme et la finance
Suite des ~30 pages suivantes du bouquin (pas relu n shiet, niquez vous bref tu connais) :
'Chèques' et économies de monnaie
Comme je le disais, l'or et l'argent étaient devenus assez rares et demandés au Moyen-Âge en Europe. On a donc très tôt trouvé des solutions pour pallier à ce problème, principalement parce d'une, le commerce était de plus en plus florissant, et de deux, parce que les princes voulaient VRAIMENT montrer le luxe de leur cour partout. Sérieusement, l'un des plus grands offices de la cour du Roi de France c'est celui de 'Grand Argentier', dont le métier était de gérer les stocks de vaisselle en or et en argent et gérer les bijoux (qui incluaient aussi des bijoux en forme de croix, etc pour décorer sa chapelle)!
Ce n'est pas spécialement surprenant que le cliché du mauvais prince à l'époque, c'est celui qui amasse beaucoup de métal en or et en argent alors que ses pauvres petits bourgeois galèrent à en trouver pour leurs transaction. L'inventaire du mobilier de Charles V, à sa mort en pleine guerre de Cent Ans, fait état de 900+ kilos d'or massif et 6100+ kilos d'argent doré, tout ça en vaisselle et bijoux … Et c'est pas uniquement le Roi : chaque Prince a plein de trucs du style chez lui.
Les riches marchands ou magistrats locaux avaient également tendance à vouloir montrer le plus d'opulence possible lors d’événements spéciaux : les mariages de leurs filles, par exemple ou encore les enterrements de membres de puissantes familles, et ça incluait des habits tissés de fils d'or. On a donc régulièrement des 'lois somptuaires', visant à contrôler le plus possible le poids en or maximal autorisé mises dans les robes, les bijoux que l'on était autorisés à porter, etc (et c'était parfois pour empêcher les nobles des familles italiennes de faire la course à qui foutrait le plus d'or sur leurs vêtements avec leurs querelles d’ego à la con).
Bref, donc comme je disais, les commerçants avaient trouvé des moyens de contourner le manque d'or que n'arrangeait pas l'aristocratie. Ils utilisaient pour cela des 'lettres de change', qui étaient des sortes de chèques. Ça fonctionnait comme ça :
Mettons que marchand A doive à marchand B 100 livres. Marchand A écrit une lettre à une de ses filiales dans une autre ville (parfois devant notaire) pour lui dire « Je dois à marchand B 100 livres, voici les taux de change en vigueur au moment où j'écris ces lignes : ajoute 100 livres à son compte chez nous ». Marchand B pouvait donc soit retirer ses 100 livres en argent physique, soit les utiliser pour rembourser des dettes qu'il devait à la filiale du marchand A.
Ce mécanisme, de nos jours, s'appelle la compensation bilatérale. Pour réexpliquer plus simplement : si tu me dois 50 euros et que je te dois 100 euros, c'est comme si tu ne me devais rien et que je te devais 50 euros. C'est moins compliqué et ça demande moins d'agent : si on n'avait pas fait cette petite opération, tu aurais dû retirer de ton côté 50 balles, moi j'aurais dû retirer 100 balles, et on les aurait immobilisé le temps de la transaction : elles seraient restées dans nos porte-monnaies respectifs pendant quelques jours parce que « Ah merde je dois rembourser 100 balles à Jean-Mi', je peux pas les dépenser parce que j'aurais pas le temps d'en retirer d'autre à la banque fuk
».
C'est tout con, mais imaginez que vous faites ces opérations tous les jour sur des gros montants et avec beaucoup de vos clients. Vous imaginez la quantité d'argent physique qui n'est plus nécessaire ? Et en plus, les lettres de change évitaient de devoir faire transporter les pièces d'une ville à l'autre, ce qui est beaucoup plus sûr. Et ce n'était pas rien : les lettres de change pouvaient également être employées, comme avec les templiers, pour transférer de l'argent en limitant les risques. Je vais déposer mon argent chez Templier Incorporated, Templier Incorporated me fait une lettre de change indiquant 'Le sieur Valyrian a déposé chez nous 100 livres, voici les taux de change en vigueur en ce moment entre les différentes monnaies', et paf, une fois arrivé à Jérusalem pour bouter du Sarrasin, on peut retirer nos 100 livres.
D'ailleurs, la compensation bilatérale était utilisée même en dehors des lettres de change. Pendant les célèbres foires de Champagne, les transactions entre les étals se faisaient très très vite, et c'est seulement dans les derniers jours où les commis des sociétés marchandes se réunissaient en mode 'fuk, on doit combien à qui ?' et compensaient leurs comptes (comptes d'ailleurs bien bordéliques la plupart du temps on va pas se mentir, qui apparemment facilitaient les fraudes au fisc. Plus les choses changent, plus elles restent identiques, on dirait
)
Les lettres de change ont aussi servi à camoufler l'usure, d'ailleurs. En gros, si le marchand B dépose de l'argent au marchand A en échange dune lettre de change, et si la filiale du marchand A refuse de payer au marchand B la somme inscrite sur la lettre de change, le marchand A doit rembourser au marchand B la somme qu'il avait reçu. Comme les cours changent très vite, ces opérations se prêtaient souvent à un camouflage de taux d'intérêt. Bien sûr, on a rapidement supprimé le passage par la filiale du marchand A, et on n’inscrivait que des lettres de changes fictives, bref vous voyez le tableau. Globalement, le taux de cette pratique, qu'on appelait le 'rechange', était de 7-12%. Ça n'était pas moins rentable, et beaucoup touchaient des sommes rondelettes, et la pratique est presque devenue une usure respectable aux yeux de certains.
Sur le capitalisme (et le mythe du protestantisme)
Je vais directement citer le bouquin : « Pendant près d’un siècle, les héritiers de Werner Sombart et de Max Weber,marxistes ou marxisants, caisses de résonance bien orchestrées, ont décrété que le capitalisme,totalement inconnu aux temps obscurs où l’Eglise interdisait le prêt à intérêt, n’avait vraiment pris son essor qu’au xvie siècle, alors que s’épanouissaient toutes les formes de la modernité et de la Renaissance. A pris le relais l’Ecole dite des Annales, née d’une revue (Les Annales d’histoire économique et sociale) fondée en 1929 par Marc Bloch et Lucien Febvre [20]. Leurs disciples, qui, de bien loin, ne les valaient pas, ont imposé une véritable tyrannie intellectuelle, dictant leurs lois jusqu’à montrer comment choisir ses sujets [21] avant d’entreprendre une recherche historique,affirmant même que « qui ne sait par avance ce qu’il cherche ne sait pas ce qu’il trouve [22] »
J'ai parlé plus haut de filiales : les grandes compagnies ayant pignon sur rue ne sont pas, stricto sensus, quelque chose de moderne. Les grandes familles marchandes passaient les entreprises familiales de générations en générations, il en allait de l'honneur de la famille (ou plutôt : du clan), qui était la principale source de bras et de financement. Les contrats étaient refaits toutes les X années, et on faisait les comptes pour se partager le profit. Parfois, on demandait un coup de main à une lignée amie pour gérer une filiale à l'étranger, le tout renforcé par des alliances ou des parrainages : on a donc dans le monde marchand de vraies politiques dynastiques. D'après ce que je comprends, on avait parfois un système pas très différent du système de pages chez les aristocrates : on envoyait son fils bosser chez la filiale d'un clan ami : il servirait d’exécutant, n'entreprendraient rien par eux-même, ne saliraient pas le nom de la compagnie en jouant aux dés, etc. Ils seront bien sûr payés et seront associés à une part du capital.
Bien sûr, il faut bien comprendre que la plupart de ces filiales étaient composées de 3,4,5 personnes dans une ville, et étaient en quelque sorte une succursale de la compagnie mère dans une ville étrangère. Cela dit, ils passaient leur temps à s'échanger des lettres et à vérifier que le climat était bon pour les affaires : comme je le disais, le Moyen-Âge était une période où l'information allait et venait, et où elle avait une importance notable sur les pratiques.
Cela dit, on avait également des sociétés anonyme qui venaient s'ajouter à ces sociétés de familles marchandes. Souvent, il s'agit de petits artisans, de veuves, de petits marchands même, qui voulaient faire fructifier leur maigre patrimoine. En général, ce qu'il se passait ressemblait assez à ceci : on ouvrait une caisse pour financer un voyage en Orient ou de l'autre côté de la mer, et l'on pouvait acheter des 'carats', une part d'un-vingt-quatrième, qui ressemble un peu aux actions de nos jours (on pouvait diviser ces carats pour les revendre d'ailleurs : in se retrouvait avec des huitièmes de carats parfois). Ces carats servaient à lever des fonds pour armer et équiper le bateau, qui allait commercer au loin. Une fois le marchand revenu, on divisait le profit : un quart pour le capitaine et son équipage, le reste à se partager entre les bailleurs de fonds. On a donc parfois quelques dizaines à quelques centaines d'investisseurs qui s'associaient pour financer ces opérations (d'ailleurs j'en profite pour dire que les trucs exotiques, comme les épices et le poivre, n'étaient pas du tout la source principale de profits : l'immense majorité des échanges étaient beaucoup plus mondains que ça. Je rappelle que la principale industrie était le drap, et donc la teinture, etc. On a aussi la construction maritime comme grosse industrie, dont l'arsenal de Venise est un exemple intéressant de vaste programme industriel détenu et organisé par l'état).
C'était assez similaire pour les moulins d'ailleurs : on pouvait en acheter des parts (parfois 90+ personnes possédaient un moulin). Ce n'était pas rien, mais géré par une petite société limite. Et comme je le disais, à part le gérant, personne ne savait exactement qui avait quoi : société anonyme, donc.
Bref, tout ça prouve que le capitalisme n'est pas né de la Réforme.
Petite note sur les assurances
Voilà qui va intéresser Tigrou, même si la partie que j'ai lu n'en parle pas pendant 3 heures
Il n'y avait pas de compagnies spécialisées dans l'assurance à l'époque, mais ça existait bel et bien, réalisé de façon connexe aux services financiers des changeurs ou autres marchands. La pratique a mis quelque temps à s'imposer (vu que c'était assimilé à de l'usure), mais au bout d'un moment, tout le monde pouvait se faire assureur s'il le souhaitait, quitte à la déguiser comme des ventes fictives, des 'prêts à la bonne aventure' (en gros pour financer le risque maritime ou payer les salaires, etc). Il s'agissait souvent d'assurance pour des bateaux (le taux n'était pas prohibitif : 4-5%) , mais on avait par exemple des assurances sur les esclaves (ex : une esclave allait accoucher, donc on allait l'assurer si ça se passait mal : la prime était de 2%). On avait aussi des assurances contre le retard de navires, voire même contre la peste !
L'assurance-vie n'existait pas sinon : c'était au clan familial de se débrouiller pour assurer le bien-être des gosses
Suite des ~30 pages suivantes du bouquin (pas relu n shiet, niquez vous bref tu connais) :
'Chèques' et économies de monnaie
Comme je le disais, l'or et l'argent étaient devenus assez rares et demandés au Moyen-Âge en Europe. On a donc très tôt trouvé des solutions pour pallier à ce problème, principalement parce d'une, le commerce était de plus en plus florissant, et de deux, parce que les princes voulaient VRAIMENT montrer le luxe de leur cour partout. Sérieusement, l'un des plus grands offices de la cour du Roi de France c'est celui de 'Grand Argentier', dont le métier était de gérer les stocks de vaisselle en or et en argent et gérer les bijoux (qui incluaient aussi des bijoux en forme de croix, etc pour décorer sa chapelle)!

Ce n'est pas spécialement surprenant que le cliché du mauvais prince à l'époque, c'est celui qui amasse beaucoup de métal en or et en argent alors que ses pauvres petits bourgeois galèrent à en trouver pour leurs transaction. L'inventaire du mobilier de Charles V, à sa mort en pleine guerre de Cent Ans, fait état de 900+ kilos d'or massif et 6100+ kilos d'argent doré, tout ça en vaisselle et bijoux … Et c'est pas uniquement le Roi : chaque Prince a plein de trucs du style chez lui.

Les riches marchands ou magistrats locaux avaient également tendance à vouloir montrer le plus d'opulence possible lors d’événements spéciaux : les mariages de leurs filles, par exemple ou encore les enterrements de membres de puissantes familles, et ça incluait des habits tissés de fils d'or. On a donc régulièrement des 'lois somptuaires', visant à contrôler le plus possible le poids en or maximal autorisé mises dans les robes, les bijoux que l'on était autorisés à porter, etc (et c'était parfois pour empêcher les nobles des familles italiennes de faire la course à qui foutrait le plus d'or sur leurs vêtements avec leurs querelles d’ego à la con).

Bref, donc comme je disais, les commerçants avaient trouvé des moyens de contourner le manque d'or que n'arrangeait pas l'aristocratie. Ils utilisaient pour cela des 'lettres de change', qui étaient des sortes de chèques. Ça fonctionnait comme ça :
Mettons que marchand A doive à marchand B 100 livres. Marchand A écrit une lettre à une de ses filiales dans une autre ville (parfois devant notaire) pour lui dire « Je dois à marchand B 100 livres, voici les taux de change en vigueur au moment où j'écris ces lignes : ajoute 100 livres à son compte chez nous ». Marchand B pouvait donc soit retirer ses 100 livres en argent physique, soit les utiliser pour rembourser des dettes qu'il devait à la filiale du marchand A.
Ce mécanisme, de nos jours, s'appelle la compensation bilatérale. Pour réexpliquer plus simplement : si tu me dois 50 euros et que je te dois 100 euros, c'est comme si tu ne me devais rien et que je te devais 50 euros. C'est moins compliqué et ça demande moins d'agent : si on n'avait pas fait cette petite opération, tu aurais dû retirer de ton côté 50 balles, moi j'aurais dû retirer 100 balles, et on les aurait immobilisé le temps de la transaction : elles seraient restées dans nos porte-monnaies respectifs pendant quelques jours parce que « Ah merde je dois rembourser 100 balles à Jean-Mi', je peux pas les dépenser parce que j'aurais pas le temps d'en retirer d'autre à la banque fuk

C'est tout con, mais imaginez que vous faites ces opérations tous les jour sur des gros montants et avec beaucoup de vos clients. Vous imaginez la quantité d'argent physique qui n'est plus nécessaire ? Et en plus, les lettres de change évitaient de devoir faire transporter les pièces d'une ville à l'autre, ce qui est beaucoup plus sûr. Et ce n'était pas rien : les lettres de change pouvaient également être employées, comme avec les templiers, pour transférer de l'argent en limitant les risques. Je vais déposer mon argent chez Templier Incorporated, Templier Incorporated me fait une lettre de change indiquant 'Le sieur Valyrian a déposé chez nous 100 livres, voici les taux de change en vigueur en ce moment entre les différentes monnaies', et paf, une fois arrivé à Jérusalem pour bouter du Sarrasin, on peut retirer nos 100 livres.
D'ailleurs, la compensation bilatérale était utilisée même en dehors des lettres de change. Pendant les célèbres foires de Champagne, les transactions entre les étals se faisaient très très vite, et c'est seulement dans les derniers jours où les commis des sociétés marchandes se réunissaient en mode 'fuk, on doit combien à qui ?' et compensaient leurs comptes (comptes d'ailleurs bien bordéliques la plupart du temps on va pas se mentir, qui apparemment facilitaient les fraudes au fisc. Plus les choses changent, plus elles restent identiques, on dirait

Les lettres de change ont aussi servi à camoufler l'usure, d'ailleurs. En gros, si le marchand B dépose de l'argent au marchand A en échange dune lettre de change, et si la filiale du marchand A refuse de payer au marchand B la somme inscrite sur la lettre de change, le marchand A doit rembourser au marchand B la somme qu'il avait reçu. Comme les cours changent très vite, ces opérations se prêtaient souvent à un camouflage de taux d'intérêt. Bien sûr, on a rapidement supprimé le passage par la filiale du marchand A, et on n’inscrivait que des lettres de changes fictives, bref vous voyez le tableau. Globalement, le taux de cette pratique, qu'on appelait le 'rechange', était de 7-12%. Ça n'était pas moins rentable, et beaucoup touchaient des sommes rondelettes, et la pratique est presque devenue une usure respectable aux yeux de certains.
Sur le capitalisme (et le mythe du protestantisme)
Je vais directement citer le bouquin : « Pendant près d’un siècle, les héritiers de Werner Sombart et de Max Weber,marxistes ou marxisants, caisses de résonance bien orchestrées, ont décrété que le capitalisme,totalement inconnu aux temps obscurs où l’Eglise interdisait le prêt à intérêt, n’avait vraiment pris son essor qu’au xvie siècle, alors que s’épanouissaient toutes les formes de la modernité et de la Renaissance. A pris le relais l’Ecole dite des Annales, née d’une revue (Les Annales d’histoire économique et sociale) fondée en 1929 par Marc Bloch et Lucien Febvre [20]. Leurs disciples, qui, de bien loin, ne les valaient pas, ont imposé une véritable tyrannie intellectuelle, dictant leurs lois jusqu’à montrer comment choisir ses sujets [21] avant d’entreprendre une recherche historique,affirmant même que « qui ne sait par avance ce qu’il cherche ne sait pas ce qu’il trouve [22] »

J'ai parlé plus haut de filiales : les grandes compagnies ayant pignon sur rue ne sont pas, stricto sensus, quelque chose de moderne. Les grandes familles marchandes passaient les entreprises familiales de générations en générations, il en allait de l'honneur de la famille (ou plutôt : du clan), qui était la principale source de bras et de financement. Les contrats étaient refaits toutes les X années, et on faisait les comptes pour se partager le profit. Parfois, on demandait un coup de main à une lignée amie pour gérer une filiale à l'étranger, le tout renforcé par des alliances ou des parrainages : on a donc dans le monde marchand de vraies politiques dynastiques. D'après ce que je comprends, on avait parfois un système pas très différent du système de pages chez les aristocrates : on envoyait son fils bosser chez la filiale d'un clan ami : il servirait d’exécutant, n'entreprendraient rien par eux-même, ne saliraient pas le nom de la compagnie en jouant aux dés, etc. Ils seront bien sûr payés et seront associés à une part du capital.
Bien sûr, il faut bien comprendre que la plupart de ces filiales étaient composées de 3,4,5 personnes dans une ville, et étaient en quelque sorte une succursale de la compagnie mère dans une ville étrangère. Cela dit, ils passaient leur temps à s'échanger des lettres et à vérifier que le climat était bon pour les affaires : comme je le disais, le Moyen-Âge était une période où l'information allait et venait, et où elle avait une importance notable sur les pratiques.
Cela dit, on avait également des sociétés anonyme qui venaient s'ajouter à ces sociétés de familles marchandes. Souvent, il s'agit de petits artisans, de veuves, de petits marchands même, qui voulaient faire fructifier leur maigre patrimoine. En général, ce qu'il se passait ressemblait assez à ceci : on ouvrait une caisse pour financer un voyage en Orient ou de l'autre côté de la mer, et l'on pouvait acheter des 'carats', une part d'un-vingt-quatrième, qui ressemble un peu aux actions de nos jours (on pouvait diviser ces carats pour les revendre d'ailleurs : in se retrouvait avec des huitièmes de carats parfois). Ces carats servaient à lever des fonds pour armer et équiper le bateau, qui allait commercer au loin. Une fois le marchand revenu, on divisait le profit : un quart pour le capitaine et son équipage, le reste à se partager entre les bailleurs de fonds. On a donc parfois quelques dizaines à quelques centaines d'investisseurs qui s'associaient pour financer ces opérations (d'ailleurs j'en profite pour dire que les trucs exotiques, comme les épices et le poivre, n'étaient pas du tout la source principale de profits : l'immense majorité des échanges étaient beaucoup plus mondains que ça. Je rappelle que la principale industrie était le drap, et donc la teinture, etc. On a aussi la construction maritime comme grosse industrie, dont l'arsenal de Venise est un exemple intéressant de vaste programme industriel détenu et organisé par l'état).
C'était assez similaire pour les moulins d'ailleurs : on pouvait en acheter des parts (parfois 90+ personnes possédaient un moulin). Ce n'était pas rien, mais géré par une petite société limite. Et comme je le disais, à part le gérant, personne ne savait exactement qui avait quoi : société anonyme, donc.
Bref, tout ça prouve que le capitalisme n'est pas né de la Réforme.
Petite note sur les assurances
Voilà qui va intéresser Tigrou, même si la partie que j'ai lu n'en parle pas pendant 3 heures

Il n'y avait pas de compagnies spécialisées dans l'assurance à l'époque, mais ça existait bel et bien, réalisé de façon connexe aux services financiers des changeurs ou autres marchands. La pratique a mis quelque temps à s'imposer (vu que c'était assimilé à de l'usure), mais au bout d'un moment, tout le monde pouvait se faire assureur s'il le souhaitait, quitte à la déguiser comme des ventes fictives, des 'prêts à la bonne aventure' (en gros pour financer le risque maritime ou payer les salaires, etc). Il s'agissait souvent d'assurance pour des bateaux (le taux n'était pas prohibitif : 4-5%) , mais on avait par exemple des assurances sur les esclaves (ex : une esclave allait accoucher, donc on allait l'assurer si ça se passait mal : la prime était de 2%). On avait aussi des assurances contre le retard de navires, voire même contre la peste !
L'assurance-vie n'existait pas sinon : c'était au clan familial de se débrouiller pour assurer le bien-être des gosses